Conte d'Erebia - Episode 4

Le prince Kindlar était un enfant étrange. Il ne se mêlait jamais aux autres héritiers qui jouaient sur les pelouses vert tendre du palais royal, ne se cachait jamais derrière les buissons et personne ne l’avait jamais vu sourire aux anges ou crier de joie à la vue d’un papillon. Il demeurait assis le plus souvent, sous les ombrelles que sa mère avait prévu à son intention. Il avait le teint pâle et les cheveux presque blancs, la voix rocailleuse et il marchait en titubant. En secret, les autres héritiers du Cercle Intérieur l’appelaient le vieil enfant, mais nul ne se permettait l’usage de ce surnom devant les adultes, car le Roi son père concevait une très grande honte d’avoir pu procréer un être à ce point débile, et ne supportait pas la moindre allusion faite à cette faiblesse de son sang. De fait, personne n’adressait jamais la parole au Prince Kindlar, que chacun considérait plus comme une malédiction faite chair que comme un fils de roi.

Un jour où comme à son habitude le prince héritier se tenait immobile dans l’ombre de ses pare-soleil à regarder les autres enfants jouer, il entendit tout d’un coup s’élever des cris de protestation, puis des pleurs. Bientôt, une petite fille aux longs cheveux bruns s’éloigna en courant du groupe, secouée de sanglots, et vînt s’asseoir sur une chaise auprès de lui.

Le jeune prince, qui avait quelques années de plus que la fillette mais n’avait pas l’habitude de telles débauches de larmes, tourna vers la petite enfant des yeux transparents habités par la curiosité. Ressentant soudain sur elle le poids de ce regard non dissimulé, la petite fille leva son nez revêche et lui lança, des larmes coulant toujours le long de ses joues :

- Qu’est-ce qu’il y a ? Toi aussi tu vas me dire que j’ai des yeux de crapaud et des cheveux de sorcière ? articula-t-elle difficilement en contenant ses sanglots.

- Tu…, commença le Prince de sa voix de vieillard en cherchant ses mots. Tu as les cheveux…doux.

         Ce disant, il leva l’une de ses mains, une main blanche aux doigts recroquevillés, avec laquelle il effleura délicatement les cheveux de la petite fille dont le visage s’éclaira d’un sourire.